La belle époque
Proche
lendemain d’une guerre qu’on ne pouvait pas encore tout à fait oublier.
La reconstruction démarrait bien lentement : le Cadets’ Circus avait
traversé en 1946 une Normandie défigurée aux maisons écrasées, aux prés et aux
plages parsemés d’épaves de toutes sortes. Le ravitaillement était toujours
très chiche. On parlait avec émotion de la « qualité
d’avant-guerre » !
Et pourtant on vivait intensément comme si l’on avait voulu se rattraper ou
oublier. On se mariait beaucoup. On avait beaucoup d’enfants.
Le Cadets’ Circus n’échappait pas à cette fièvre collective : il allait à grand train, riche d’une extraordinaire équipe bien que pauvre en moyens matériels, se déplaçant tous les dimanches, jouant parfois en semaine.
En fin 1946 invité par le Mouvement catholique « les cœurs Vaillants » le Cadets’ Circus présenta au vélodrome du parc des princes son spectacle devant le plus grand nombre de spectateur jamais atteint 40 000 jeunes.

« Du neuf et du raisonnable ». Ainsi aurait-on pu définir le programme de cette année 1947. « Neuf » parce qu’il comportait sept numéros nouveaux venus s’ajouter à six hérités de la saison précédente. Il faut préciser qu’à cette époque le Cadets’ Circus montait deux programmes par an, un de printemps-été et un d’automne-hiver, et que les numéros étaient renouvelés par moitié à l’occasion de chaque programme. « Raisonnable » car il revenait aux treize attractions après les dix-sept de la saison précédente qui constituaient un spectacle trop long.
Après un charivari, qui, à cette époque, ne se renouvelait guère, la jeune équipe de clowns « Atome et Bikini » faisait ses débuts sur la piste avec une histoire d’ivrognes.

Venait ensuite le seul numéro déjà présenté un an plus tôt : celui des « John-Mill’s », Jean Barruet et Émile Chevallier qui travaillaient à la perche simple. Leur succédaient les « Barceljo », Ulysse Barrillet, Marcel Trublard et Geo Dormann, dans un travail au tapis qu’ils présentaient pour la première fois. Le numéro suivant était également nouveau : reconstituée après un an d’interruption, l’équipe des « Lucrenzi », Lucien Collinet et René Genty, à qui l’on devait le redémarrage du cirque en 1942, présentait un très joli numéro aérien qui tenait à la fois de la perche suspendue et de la double barre. Fatigué, Lucien Collinet avait dû abandonner l’acrobatie pendant un an et en avait profité pour créer, avec quel talent, le personnage de l’auguste « Nono ».Nouvel intermède des clowns avec « Atome et Bikini » à qui s’était joint « Bobino », seul survivant du célèbre trio. « Jor’ann », Geo Dormann, terminait la première partie avec un numéro de boule créé la saison précédente et auquel il venait d’adjoindre un travail d’équilibre sur rouleaux. Après l’ouverture de « Radetsky », la deuxième partie débutait avec le travail d’équilibriste de « Rancis », Francis Thuillier, qui, depuis la saison précédente également escaladait planche à bascule et échelle en portant sur le menton un échafaudage de bouteilles, table, pot de fleur … Suivait un sketch militaire joué par « Andrex et Nono », André Farnault et Lucien Collinet qui restera toujours à la fois auguste et acrobate. « Milos », Émile Chevallier, présentait ensuite un travail classique au trapèze. Puis les « Rénicellos », René Genty et Marcel Trublard apparaissaient une première fois dans un numéro de main à main nouveau. Autre numéro inédit, celui de « Ludovic », Louis Barruet, qui marchait la tête en bas. Nouvelle apparition d’« Andrex et Nono » dans le sketch du piano et retour des « Rénicellos » dans un numéro aérien de leur invention. C’était assez casse-cou mais très beau : combien de fois avons-nous vu les pieds des chaises commencer à « décoller » ou l’échelle venir un peu trop vers le porteur. Mais, imperturbable, Marcel accentuait ou relâchait la pression de ses pieds sur les cordes du trapèze et, non moins stoïque, René continuait son numéro d’équilibre et de travail en souplesse. C’est de ce numéro que devait naître l’année suivante, celui qui allait rendre célèbre les « Barceljo ». Cette attraction était bien la dernière du spectacle qui s’achevait aux accents du « Départ des Gladiateurs ».
Ce programme fut présenté une dizaine de fois mais, malgré sa qualité, ne resta
pas à l’affiche. Un an plus tard, le Cadets’ Circus allait entreprendre une
tournée d’été en Normandie en présentant treize numéros dont douze
nouveaux ; seul « Rancis » redonnerait son travail d’équilibre
mais en partie renouvelé.
Le Cadets’ Circus tenait alors la grande forme et multipliait ses déplacements.
Non seulement il pouvait se renouveler fréquemment mais il disposait de
doublures pour un bon nombre de numéros. Le secret ? Un entraînement
sérieux permettant à chacun d’acquérir une bonne musculature. Cette « belle
époque » allait durer encore deux ans. Après quoi il y aurait des départs,
un renouvellement des équipes puis la mort du Père André le 14 janvier 1952